Autonomie — Ontonomie — Hétéronomie
Quête de liberté, émancipation, grandeur de soi, non limitation de ses capacités… le champ sémantique du concept « autonomie » ouvre la voie à une multitude d’horizons à définir pour établir des manières d’être ou des façons de vivre ensemble.
L’autonomie renvoie ainsi à la possibilité et à la capacité d’établir « la » normativité à laquelle un individu, un groupe, une organisation, une communauté ou une société veulent se conformer. Ce libre champ des possibles sous-entend une opération préalable consistant à rejeter ce qui apparaissait comme étant imposé de l’extérieur à soi. D’un extérieur perçu à la façon d’une obligation à vivre quelque chose de non-conforme avec sa conception d’être. L’obligé est conquérant. Il est représenté sous les traits de « l’hétéronomie ». Par ce qui est dicté de l’extérieur à soi.
Le binôme « autonomie – hétéronomie » se combine inévitablement sous les traits d’un Être confronté à une double réalité : la présence d’un soi autonome et relevant de l’autodétermination qui doit composer avec un soi hétéronome, fruit d’une hétéro-détermination. Cette double réalité peut difficilement être autre que conflictuelle et dialectique.
- Conflictuelle : du fait de l’incontournable aspiration à Être autrement que par ce qui nous a défini. Conflictualité associée aussi au fait qu’une autonomie, une fois définie, s’impose au soi et empêche ce soi de vivre une situation d’autonomie perpétuelle, non stabilisée et non instituée.
- Dialectique : en raison du mouvement évolutif permis par le processus « d’imposition – libération » que représente un soi hétéronome en incapacité de ne pas chercher à s’émanciper de la cage de fer de son hétéronomie. L’être hétéronome ne peut exister sans chercher à remodeler l’hétéronomie qui l’habille. L’être autonome ne peut s’accomplir qu’en ayant réussi à imposer une normalité qui ne peut apparaître que porteuse d’hétéronomie pour autrui.
La présence du conflit et du processus dialectique qui en résulte trouve un havre de paix dans le concept d’ontonomie.
L’ontonomie (de nomos, loi et on, l’être) n’est ni autonomie où les lois externes sont rejetées, chacun étant sa propre loi, ni hétéronomie où chaque sphère d’existence dépendrait d’une sphère supérieure. Elle réfère à la « régularité interne de quelque être que ce soit dans sa relation constitutive au tout (du Réel) dont il est membre » (Vachon 1995b : 26) »1Eberhard, Christoph. « Le cercle comme ouverture pour la Paix. Détour par des visions amérindienne et tibétaine du Droit », Revue interdisciplinaire d’études juridiques, vol. 49, no. 2, 2002, pp. 303 – 346. Page 323.
L’ontonomie représente une sorte de carrefour symbiotique où se conjugue la présence de l’institué « l’hétéronomie » et de l’instituant « l’autonomie ». Un point de jonction et d’équilibre entre ce qui nous est (1) extérieur, (2) ce qui nous est propre, et (3) la façon dont les deux se combinent pour constituer un être essentiellement fruit d’une mise en forme de relations transitoires entre l’hétéro et l’auto. L’ontologie renvoie, par le fait même de l’intrication qu’elle symbolise, à une « position originale et non pas un simple compromis ou juste milieu entre l’hétéronomie et l’autonomie. Chaque personne ou culture est perçue comme existant dans la mesure où elle participe au Tout et lui permet de s’exprimer à travers elle »2Ibid..
L’ontonomie témoigne de l’état extrêmement imbriqué de la substance constitutive de tout être. De l’atome, au virus, à la civilisation en passant par le cyborg… le soi est le fruit d’une combinaison de mises en relations, d’un mutuellisme entre les composantes du réel constitutif de nos réalités.
Cette imbrication est présentement niée par l’épistémologie de la modernité mondialité. Le monde, tel que cette épistémè le représente, est partagé entre l’hétéronome, l’univers des institutions, et l’autonome, le monde de l’instituant, lequel se situe à la marge de l’institué. Cette représentation conçoit donc l’hétéronomie comme un « ordre naturalisé ou achevé » et l’autonomie, comme une fonction adaptative à ce dernier. Elle prend la forme d’une autonomie positive, lorsqu’elle contribue à la bonification de l’ordre dominant, et négative, lorsqu’elle nuit à son « bon fonctionnement » où à sa « bonne transformation ».
Le Manifeste de l’Éveil nous invite à renouer avec la dimension intégrative et mutualiste de l’ontonomie.
Nous parlons de renouer car des peuples premiers nous ont légué une représentation intégrée du binôme « hétéronomie – autonomie », à partir, entre autres représentations de la juridicité ou de la symbolique du « cercle » ou encore du yin et du yang.
La symbolique du cercle relie les êtres à partir d’un réseau de relations non hiérarchisées pour former une « communauté de parenté » pour Christoph Eberhard3Op. cit., une « communauté d’engendrement » dans les termes de Bruno Latour4Miranda, Carolina (2019). « Troubles dans l’engendrement : Entretien sur la politique à venir ». Revue du Crieur, 14, 60 – 73. https://doi.org/10.3917/crieu.014.0060., ou encore une « communauté biotique » aux yeux d’Aldo Leopold5Aldo Leopold (1949 [2000]). Almanach d’un comté des sables, Paris, Flammarion..
Notes
- 1Eberhard, Christoph. « Le cercle comme ouverture pour la Paix. Détour par des visions amérindienne et tibétaine du Droit », Revue interdisciplinaire d’études juridiques, vol. 49, no. 2, 2002, pp. 303 – 346. Page 323
- 2Ibid.
- 3Op. cit.
- 4Miranda, Carolina (2019). « Troubles dans l’engendrement : Entretien sur la politique à venir ». Revue du Crieur, 14, 60 – 73. https://doi.org/10.3917/crieu.014.0060.
- 5Aldo Leopold (1949 [2000]). Almanach d’un comté des sables, Paris, Flammarion.