Arrangements institutionnels et organisationnels
Au cœur des arrangements institutionnels et organisationnels se trouvent les notions d’institution et d’organisation.
Par institution, nous retenons la définition qu’en donne John R. Commons (1931)1John R. Commons (1931). “Institutionnal Economics : the American Economic Review, vol. XXI, pp. 648 – 657. à savoir : « une action collective qui contrôle, libère et étend le champ de l’action individuelle ». Commons conçoit les actions individuelles en étroite liaison avec les actions collectives, où les premières sont subsumées dans les deuxièmes.
Tout acteur individuel est fondamentalement défini en fonction d’un faisceau de droits et de responsabilités définies par le cadre culturel qui le subsume. L’acteur ainsi défini représente un produit institutionnel duquel il compte pour établir des relations sociales avec d’autres acteurs, d’autres individus. Commons qualifie les relations prenant place entre les acteurs à l’aide de la notion de « transactions ». Il identifie trois types de transaction : d’échange (entourant des biens ou des services), de gouvernance (relatives aux modalités de gestion des échanges) ou de distribution-redistribution (afin de déterminer la répartition des ressources). Chaque transaction mobilise un ou plusieurs ensembles de règles, de normes, de cadres normatifs, donc d’institutions. Ces dernières peuvent être informelles ou peu organisées (une coutume par exemple), ou peuvent se présenter sous une forme formelle ou bien organisée (la parenté, le syndicalisme, l’État).
L’institution est une action collective au sens où elle est acceptée ou reconnue socialement comme étant pertinente par le groupe concerné par son application ou pour sa mise en œuvre. Ce faisant, l’institution fait office de matrice, de cadre ou de gabarit à l’agir. L’agir individuel ne pouvant être autre chose qu’un agir socialisé, il se transforme de fait en action collective, laquelle actualise de façon plus ou moins parfaite l’institution à laquelle se réfère cette action. Dépendant d’une « directivité de référence », l’acteur utilise ce bagage référeniel en l’appliquant de façon contextuelle et conjoncturelle. L’action collective prend alors la forme d’un going concern ou d’une action concernée : donc à la fois déterminée et déterminante. Chaque going concern se matérialise concrètement dans de l’organisé sous la forme tangible d’une organisation.
L’organisation est la « machine » collective, la concrétisation pratique de la mise en œuvre des buts/moyens de l’institution. L’organisation est ainsi l’activation (going), la réalité en acte (working), de l’institution (action collective) dans sa capacité à mobiliser dans un même concern des volontés individuelles (willingness) vers un même but. (Gislain, 2002, p. 552Jean-Jacques Gislain (2002). « Causalité institutionnelle : la futurité chez J. R. Commons », Économie et institutions, n. 1, pp. 47 à 66.)
Si l’organisation est un produit dérivé de l’institution, elle est instituée sous l’influence de cette dernière, elle rétroagit sur l’institution en confirmant sa pertinence et sa légitimité. De plus, elle a la capacité d’être instituante au sens de permettre à l’institution d’évoluer (la transformation de la papauté au fil des siècles), ou d’engendrer son effacement en créant une nouvelle institution (le travail esclavagiste remplacé par le travail salarié). La dynamique « institué-instituant » se trouve au cœur du processus évolutif de la matrice institutionnelle caractérisant un groupe social, une communauté, une société ou une civilisation.
L’institution, en tant qu’idée d’œuvre guidant l’action « individuelle@collective », est donc appelée à évoluer en fonction de changements conjoncturels ou structurels, de l’expression de volontés liées aux intérêts aux besoins et aux aspirations des acteurs ou en fonction de divers éléments liés à la contingence : sous l’angle d’opportunités qui se présentent ou de contraintes ou adversités qui surviennent. L’institution, comme parole dictée par la « passéité », contribue à définir le moment présent – la « présentéité » – tout en participant à l’énoncé de futurités. Elle le fait dans le temps présent en se concrétisant dans de l’organisé. Les « institutions et leurs formes organisationnelles respectives sont en quelque sorte condamnées à sans cesse évoluer, à toujours produire une nouvelle futurité … actualisant toujours les initiatives individuelles et leurs conséquences » (Ibid.).
Maintenant, si toute action individuelle s’inscrit dans du transactionnel, lui même chapeauté par une ou des institutions, cela signifie qu’un acteur social est constamment appelé à composer avec différentes institutions. Il doit donc apprendre à combiner non seulement les exigences ou les attentes institutionnelles, mais aussi leur interprétation par les autres acteurs avec qui il est appelé à interagir.
La mise en application de l’idée d’œuvre d’une institution (incarnée dans l’esprit institutionnel qui habite chaque acteur social) se traduit par des systématisations comportementales qui prennent la forme d’arrangements institutionnels, lesquels sont chapeautés, guidés, influencés ou contraints par des environnements institutionnels.
Un environnement institutionnel « désigne essentiellement les normes et règles du jeu qui cadrent l’action individuelle ou collective en imposant des contraintes, mais aussi en fournissant des supports plus ou moins efficaces à l’organisation des transactions. Bien entendu, ces règles n’évoluent que très lentement. Elles peuvent être formelles, par exemple le régime juridique des droits de propriété, mais aussi informelles, par exemple les coutumes et croyances contribuant à structurer l’activité économique et le rôle des acteurs. »
Alors qu’un arrangement institutionnel capte « la façon dont les agents, opérant dans un cadre fixé par les institutions, combinent des actifs, physiques ou humains, plus ou moins spécifiques en vue de développer leurs activités de production et d’échange3Claude Ménard, « Économie (Histoire de la pensée économique) — Néo-institutionnalisme », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 21 avril 2021. URL : http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/economie-histoire-de-la-pensee-economique-neo-institutionnalisme/.
Fort d’un arrangement et d’un environnement institutionnels, les organisations sont caractérisées elles-mêmes par deux formes d’arrangements. Un premier type d’arrangement relève des constituantes même de tout « fait organisé4Sur la définition d’un fait organisé, voir Fontan, Jean-Marc (2022). « Les dynamiques sociales », dans Tannery F., Denis, J.P, Hafsi, T. et A.C. Martinet. Encyclopédie de la stratégie, Caen, Éditions EMS Management & Société, Entrée 33.», renvoyant par exemple aux différences observables entre la famille étendue et la famille nucléaire. Un deuxième type arrangement tient à l’existence d’un système externe à l’organisation, lequel regroupe d’autres organisations et institutions, formant ainsi un écosystème d’action à la fois organisationnel et institutionnel.
Notes
- 1John R. Commons (1931). “Institutionnal Economics : the American Economic Review, vol. XXI, pp. 648 – 657.
- 2Jean-Jacques Gislain (2002). « Causalité institutionnelle : la futurité chez J. R. Commons », Économie et institutions, n. 1, pp. 47 à 66.
- 3Claude Ménard, « Économie (Histoire de la pensée économique) — Néo-institutionnalisme », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 21 avril 2021. URL : http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/economie-histoire-de-la-pensee-economique-neo-institutionnalisme/
- 4Sur la définition d’un fait organisé, voir Fontan, Jean-Marc (2022). « Les dynamiques sociales », dans Tannery F., Denis, J.P, Hafsi, T. et A.C. Martinet. Encyclopédie de la stratégie, Caen, Éditions EMS Management & Société, Entrée 33.